mercredi 2 octobre 2013

"Le Destin du Dodo"

Le dodo de Martin est-il encore dans le jardin ? Non, à coup sûr, il aura disparu. Vainement recherché dans les allées, vainement épié derrière la courbe des pierres du puits, vainement distingué derrière la rocaille grise, car disparu, évaporé.
Restent le frémissement des feuilles de vigne, le battement des palmes, un froufrou asséché, l’ondulation des serpents de plastique, la béatitude borgne des grenouilles peintes, les bougies ébréchées, les sécateurs ouverts.
Mais le dodu volatile ne dandine plus son œil rond entre les queues d’amarante et la rêche verdure des tournesols.  Ne tourne plus son arrière-train sous les pergolas. Ne bécote plus le vieux chat. Ne m’interroge plus gravement sur l’enveloppe des choses.  Ne se gausse plus crânement, ne singe plus les canards, ne pince plus les chiens.
Le dodo de Martin s’est perdu. Il ne manquerait plus qu’à le chercher le promeneur égaré frotte son bras nu à quelques orties facétieusement disposées à bord de sente !
Où est-il ? Derrières les cordes striées d’une scie baroque, sous les nuages vaporisés? Pointant sa tête entre les convives silencieuses d’un repas champêtre? À la droite du ressuscité, tournant son col gris vers la chevelure en gloire? Becquetant sans vergogne l’assiette divine pour tirer quelque retentissement ménager à la rupture du pain? Allez savoir! Peut-être que son œil luit dans la chaleur diffuse de l’auréole! Peut-être encombre-t-il de ses pattes palmées les petons glabres des disciples! Peut-être circule-t-il peinard entre les piliers de la foi? Comme un vieux renégat? Campé sur ses pilons!
Cousin de l’albatros, il restera sans doute à rayer un sol sans joie, voisin du clair-obscur, poussiéreux et défait. Pétri de dignité crottée, confit de malice, il hantera les toiles les plus classiques, égayant d’un couac percutant les salles désertes des musées. Je le parierai.

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