dimanche 14 avril 2013

"Faribole médiévale"

A l'orée d'une sente noire, sous une enseigne à chainettes dans le silence vide d'une contre-escarpe, j'ai vu la silouhette goudronnée d'un curieux perroquet. Il beugle avec emphase, celui que les passants appellent "Tête-de-Chien". Courbé sous l'enseigne, coulé dans les plis de sa robe noire, il tient dans la main une gourme ridée qui se profile nettement au bout de ses doigts effilés.
Il semble y recourir comme à une  poire de médecine; à qui veut le voir ou l'entendre, avec un geste de saupoudrage ou de dispersion, il déclame sans raison. Secoué parfois de lugubres tremblements, il marmonne, invoque des présences que lui seul connait.

"Prenez la goutte de chien! Prenez la goutte de chien! Pas de barguigner! La goutte de chien, en panacée! Dans le café, une ondée de sucre, et la goutte de chien!
La goutte de chien fait le teint frais, les dents blanches,le sourire lisse! Goûtez la goutte de chien, Madame! Gouttez la goutte de chien!
En poivrade, dans la paume de vos mains!
Pour éloigner les miasmes du matin, la goutte de chien! En poivrade!
La goutte de chien se consomme per cutaneum, à la bonne franquette, entre une béguine et deux pénitents!
La goutte de chien!
Prenez-la en procession de manteaux noirs, sous la capuche à l'heure où retombent les mantilles!
En perle de rosée, sur le dos de la main, inhalée dans des becs de corne, la goutte de chien!
Sous le halo des lanternes! Aux pieds des ceps de vigne!
Conseillée aux femmes enceintes, pour les nuits sans brume, la goutte de chien fait le délice des amants meurtris, le réconfort des âmes simples!
La goutte de chien, aux sels de Guinée! Pour les priapiques, les hérétiques, les épileptiques, les schismatiques, goutte de chien, goutte de chien!"

Au fond, personne n'a jamais vu Tête-de-Chien. Personne n'a jamais tenu dans sa main ni le crochet de ses doigts interminables, ni la fameuse poivrade concassée de débris noirs. Encore moins caressé le revers de sa joue creuse. Mais il existe, on pourrait le jurer. Regardez seulement le pas de certains s'accélérer au coin de ladite rue, faire d'imprévus écarts, ou bien encore observez la moue étrange de certains autres à l'aplomb de l'enseigne.

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